Faut-il célébrer Halloween ?
- I Steen
- 7 déc. 2023
- 4 min de lecture
Fête religieuse ou commerciale ? Moment pour se retrouver en famille ou nuit de débauche ? Les Français remettent chaque année en cause la “légitimité” d’Halloween et questionnent son identité.
En 2022 des mouvements de foule meurtriers en Corée ont fait la une des actualités. Au Japon un homme déguisé en Joker avait attaqué les passagers d’un train au couteau…et cette année, le maire de Shibuya a mené une campagne forte pour réprimer d’éventuelles festivités de rue.
Difficile d’ignorer l’évidence : Halloween dérange.
Cette fête suscite des réactions intenses, allant de l'adoration à la haine. Accusée tour à tour d'être capitaliste ou sataniste, superficielle ou dangereuse, elle s'inscrit pourtant dans la lignée de nombreux autres événements célébrant la mort ou les ancêtres à travers le monde.
En France les catholiques célèbrent déjà la Toussaint le 31 au soir et le 1er novembre en se rendant sur les tombes pour y déposer les fleurs. On connait le Samain d’Irlande, au Japon le Higan et le O bon, au Mexique le jour des Morts ou Día de Muertos…
Alors oui, enchaîner les shots de vodka et poursuivre vos voisins déguisés en clown tueur, n’a plus rien de religieux. Mais la notion de rite demeure.
Halloween, telle qu'elle est fêtée aujourd'hui, représente-t-elle encore quelque chose ?

Les multiples visages d’Halloween
Chasse aux bonbons, fêtes costumées, feux de joie, processions…Halloween est une lumière dans la nuit, une étincelle de joie avant l’hiver et un moment à passer “ensemble”.
Si l’idée de la mort y est rattachée, c’est justement afin de mettre en relief le plaisir et la chance d’être vivant.
C’est l’occasion de laisser s’exprimer sa capacité à créer, donc à donner soi-même la vie.
Preuve en est les innombrables challenges artistiques comme Inktober lancés sur internet à cette période. Costumes, maquillage, peinture, musique, danse…tous les arts et les supports sont mis à contribution. Et qui dit créativité dit bien sûr liberté !
Halloween est l'occasion de débordements, de travestissements, de manifestations de sauvagerie ou encore d'inversions de sexes et de codes sociaux. C’est ce souffle de liberté temporaire qui en fait la fête cathartique par excellence. Ne serait-elle pas une nouvelle version de notre carnaval ?
Gagner en puissance
Halloween est une fête qui célèbre “l’autre”, l’étranger, celui qui fait peur et que l’on doit apprivoiser. Dans la Grèce antique, cet “autre” était symbolisé par Dyonisos, le dieu marcheur qui amenait la fête avec lui en appelant à la tolérance et à l’ouverture d’esprit. Aujourd’hui, les “autres” prennent la forme de vampires, de loups-garous, de diablotins et de sorcières. Le monstre, le freak, celui qui ne rentre pas dans les codes à l’occasion de s’affirmer, voire de briller.
Halloween offre une passerelle entre monde des vivants et monde des morts, mais aussi entre l'underground et le grand public. Elle permet de dédiaboliser et d'éduquer. C’est quelque chose qu’a tres bien compris la communaute LGBT+.
N'oublions pas que nous revêtons nous aussi masques et costumes. Sous notre déguisement, nous avons alors une excuse pour interagir avec les autres d’une maniere unique. Une excuse pour nous révéler tels que nous sommes ou tels que nous rêverions d’être.
Nous nous réinventons et nous gagnons en puissance !
Pour les femmes, habituées à être considérées en victimes potentielles dès l’enfance et appelées sans cesse à la prudence, Halloween peut être une fête libératrice. C’est l’occasion pour elles d’exprimer leur sensualité ou leur violence dans l’espace public sans en être réprimandées et donc, une nuit lors de laquelle elles pourront enfin faire peur plutôt qu’avoir peur !

Se sentir vivant
Évidemment, difficile d’ignorer les aspects négatifs d’Halloween : l’évènement est parfois le théâtre d’agressions, de cambriolages, etc. La fête peut alors vite changer de ton et tourner au chaos.
Mais, sans prise de risque, le sentiment de vie serait moindre. Cette recherche de frisson contribue à l’atmosphère unique de la fête.
Dans son livre Psychanalyse des contes de fées, le psychologue américain Bettelheim tente d’expliquer la sensation presque voluptueuse de la peur : "Le déplaisir initial de l'angoisse devient alors le grand plaisir de l'angoisse affrontée avec succès et maîtrisée."
Après un saut à l’élastique ou en parachute, après une prise de risque…n’est-ce pas un moment où nous nous sentons absolument vivants ?

Rituels de passage
Bien sûr nous sommes loin de vivre la même nuit que les personnages de La Purge les soirs d’Halloween. La peur que nous éprouvons reste illusoire.
Jouer à se faire peur est une manière d’entrer dans l’âge adulte ou de replonger en enfance.
Halloween offre de grands défis :
on toque aux portes pour affronter l’inconnu
on teste son courage en allant seul dans des endroits abandonnés
On apprend à faire peur et l’on prend conscience de son pouvoir sur les autres
On apprivoise ses propres peurs en les partageant avec autrui et en les tournant en dérision.
Identifier et analyser nos peurs, comprendre leur impact, y faire face et recadrer notre pensée, mais aussi apprendre à accueillir l'incertitude sont autant de façons de mieux vivre.
La culture occidentale nous amène parfois à occulter la mort, la peur, la douleur, l’inconfort, la maladie mentale... À une époque où les “triggers warning” (avertissements) s’immiscent de plus en plus entre nous et le reste du monde, réduisant au maximum notre expérimentation de toute forme de stress ou de désagréments, il est peut-être plus que jamais important de remettre nos peurs à leur place. En les ignorant, ne risquent-elles pas de se glisser dans notre dos pour nous assassiner ?
N’est-il pas fabuleux qu’Halloween soit là pour nous y confronter, ne serait-ce qu’une fois dans l’année ?
Sur le même sujet : Découvrez l’article très intéressant de Matt Alt sur les festivités d’Halloween à Shibuya.
Images créées avec Midjourney
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