Je suis un fantôme

Moi qui aime les monstres, si un jour on m’avait dit que je deviendrais un fantôme… Comme Erik, le fantôme de l'Opéra imaginé par Gaston Leroux, j'ai trouvé ma demeure dans l'ombre, mais contrairement à lui, cette obscurité n'est pas pour moi une prison, c’est un ciel étoilé. 

En tant que journaliste, je donne la parole aux autres. Je m’efface pour mieux les mettre en lumière. Mais ma signature reste généralement en bas de l’article. Quand je deviens ghostwriter, cet effacement prend une toute autre dimension. Ghostwriter, mot anglais équivalent du prête-plume qui signifie littéralement “écrivain fantôme”.

Le ghostwriter est un passeur. C’est l'ombre qui chuchote. Celle qui retranscrit les idées, les émotions, les envies d'un autre. Le fantôme écoute et décortique. Le vouvoiement ou le tutoiement, la simplicité ou la technicité, le jargon, les tics, les silences, les évitements, les envolées lyriques : tout compte. Chaque détail fait émerger la "musique" d'une voix. C’est un travail d’humilité, mais aussi d’exigence.

 Là où beaucoup cherchent reconnaissance et visibilité, je trouve ma place dans l’ombre. Chaque projet est une incarnation nouvelle, chaque client une vie parallèle. Je traverse des univers que je n’aurais jamais explorés seule. Mes textes s'animent lorsqu'ils rencontrent une audience. Ils sont lus et partagés par des centaines ou des milliers de personnes. Erik révèle au monde la voix sublime de Christine ; moi, je révèle au monde la voix authentique de ceux qui n'osent pas encore la faire entendre seuls.

Bien sûr, un fantôme choisit sa demeure. Je ne me mets pas au service de voix qui ne résonnent pas un minimum avec la mienne. Il faut qu’un accord existe, même discret, pour que le texte s’anime. 

Le plus beau ? S’exercer à disparaître, c’est apprendre à lâcher l’ego créateur qui nous pousse à revendiquer ou posséder. C’est réaliser que nos accomplissements nous survivent sans nous appartenir.

Je suis une silhouette qui s'estompe, et j’accepte de m'effacer avec une étrange sérénité.

©Steen